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Writer's pictureKarine Poullard

Pavoiser pour montrer son respect : OK mais drapeaux déchirés = manque de respect…



Récemment, lors d'une balade près du Pegasus Bridge, j'ai pris cette photo de drapeaux déchirés, j'ai trouvé cela triste. Je sais que c'est parce que la commune de Bénouville n'a pas eu le temps de les remplacer après les coups de vent de ces dernières semaines, mais je trouve qu'il vaudrait mieux les retirer tout de suite.


Je me rappelle de l’année 1984, celle du 40ème Anniversaire du Débarquement, la première des grandes commémorations internationales. Comme toutes les autres, elle fut préparée pendant de longs mois par de nombreuses institutions, associations, commune et particuliers.


Je n’avais que 14ans mais je sentais la solennité et l’excitation aussi dans le ton des adultes qui en parlaient : cela allait être un évènement très important pour nous, les habitants de ces communes littorales où le Débarquement allié du 6 juin 1944, d’accueillir nos «libérateurs », et c’est vrai, ce fut très fort…


Rencontrer les vétérans qui pour la plupart d’entre eux n’étaient jamais revenus en Normandie, voir ces messieurs qui n’étaient pas encore si âgés, voir leurs sourires sur leurs visages, dans leurs yeux, dans leurs mains qui s’ouvraient pour nous remercier de l’accueil que nous leur faisions.


Pour ma part mon anglais était encore balbutiant et à 14 ans, j’étais encore très impressionnable, et pleine de mon éducation normande : ce n’est pas poli de s’adresser à quelqu’un sans y avoir été invité, ce n’est pas poli de poser des questions personnelles à quelqu’un qui n’est pas un proche, et c’est encore moins poli de lui poser une question qui le gêne, et qui va le faire pleurer.


Alors, comme beaucoup d’autres gamins de la région, je ne posais pas beaucoup de questions. Heureusement certaines personnes osaient, ou certains vétérans témoignaient sans qu’on les sollicite et nous pouvions écouter.


J’ai compris plus tard, en entendant certains vétérans dire qu’ils avaient mieux accueillis en Belgique et en Hollande, que les gens de là-bas étaient plus chaleureux qu’ils auraient préféré que nous fussions moins polis. Ils aimaient que l’on vienne vers eux pour les remercier et leur poser des questions.


Pour revenir au 40ème Anniversaire du Débarquement, je me souviens avoir entendu mes parents dire que les mairies recommandaient à leurs habitants des maisons qui se trouvaient sur le passage des cortèges de vétérans, ou militaires en service actif, mais aussi chefs d’états et autres officiels d’arranger un peu leurs extérieurs, et de pavoiser.


Pavoiser : (définition du dictionnaire) Orner de drapeaux (un édifice public, une rue, etc.), à l'occasion d'une fête.


Car oui c’était une fête pour nos aînés de revoir leurs libérateurs, et pour beaucoup c’était même la première fois qu’ils pouvaient vraiment les voir et vraiment les remercier… En 1944, beaucoup de civils fuyaient leurs habitations ou se terraient dans des caves ou des tranchées pour survivre aux bombardements, alliés le plus souvent : car il fallait détruire les infrastructures, et désorganiser la défense allemande pour que les libérateurs réussissent à avancer ville après ville.


Alors les soldats alliés, souvent éprouvés, sales, après des jours, voire des semaines de combat, n’ont souvent trouvé que quelques normands exténués, désorientés au milieu des ruines de rues, d’habitations, d’églises, et des corps des membres de leurs familles, ou de voisins, hommes, femmes et enfants.

Dans leurs yeux vides, dans leurs gorges serrées, le soulagement que ce soit enfin fini, et la gratitude envers ces jeunes hommes venus de loin pour leur rendre leur liberté a eu du mal à s’exprimer à l’époque.


C’était un besoin pourtant de dire « Merci ». Nos grands-parents nous l’ont expliqué à l’occasion de la préparation du 40ème Anniversaire du Débarquement, il fallait que l’on sache ce qu’il s’était passé, et comment des milliers de soldats étrangers avaient quitté leurs familles et leurs pays pour venir combattre et libérer nos pays occupés. Il fallait bien les accueillir, et bien les remercier.


Alors oui, il fallait pavoiser les rues, les bâtiments, les enfants… avec les drapeaux des nations qui nous avaient libérés. Des drapeaux, des drapeaux partout ! Des couleurs, et le soleil pour les faire chatoyer, et le vent pour les faire onduler, c’était beau !


Des drapeaux pour dire aux vétérans (même si la plupart des gens du coin ne savaient pas parler anglais) qu’ils étaient bienvenus, que l’on n’avait pas oublié, que l’histoire avait était transmise aux petits-enfants.

Des drapeaux pour faire chaud au cœur.

C’est devenu une tradition de pavoiser tous les ans


Je suis devenue adulte et guide à peu près en même temps et je rencontre des centaines de visiteurs étrangers qui étaient surpris par ces drapeaux. Parfois ils sont persuadés que ces drapeaux sont placés là où des personnes originaires du pays du drapeau vivent…

D’autres fois ils croient qu’à chaque drapeau correspond un fait d’armes et demandaient lequel et pourquoi je ne m’arrêtais pas. Je leur répondais : « Non, non c’est juste pour pavoiser ! » Et d’expliquer la tradition…


Il y a de moins en moins de vétérans car ils ne sont pas immortels… Comme les drapeaux d’ailleurs.


Ces drapeaux neufs, pimpants et claquants au vent au début de la saison, se détériorent assez vite et malheureusement, nous voyons des drapeaux décolorés, déchirés, déchiquetés, ou parfois, il n’en reste plus que quelques lambeaux.


Nous, les gens du coin, n’y prêtons plus vraiment attention, il font partie du décor et nous savons que le propriétaire du drapeau n’a pas de mauvaises intentions, qu’il n’a juste pas pris le temps de retirer le drapeau, et d’en mettre un neuf, qu’il croit que ce n’est pas grave, s’il est un peu déchiré, que ça coûte cher à remplacer quand même…


Mais les visiteurs étrangers ne comprennent pas cela, ils se sentent insultés parfois, car un drapeau est un symbole national dont les membres d’une nation sont fiers. Le drapeau d’une autre nation que l’on déchire est une insulte.

Lorsque ces visiteurs sont accompagnés par un guide, celui ou celle-ci peut expliquer, mais beaucoup d’entre eux viennent par eux-mêmes et repartent chez eux avec un drôle de sentiment.


Tous ces drapeaux peuvent donner une image extrêmement positive et attractive… seulement lorsqu’ils sont en bon état.


Et mieux vaut un mât vide plutôt qu’un drapeau déchiré.


Karine Poullard

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